J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil. En esprit je revis avec lui les quarante derniers jours qu’il passa, les chaînes aux pieds et parfois aux poignets, dans la cellule des condamnés à mort de la prison de Saint-Brieux. Les journaux manquent d’à propos. Ils commirent d’imbéciles articles pour illustrer sa mort qui coïncidait avec l’entrée en fonction du bourreau Desfourneaux. Commentant l’attitude de Maurice devant la Mort le journal l’Œuvre dit . Bref on le ravala. Pour moi, qui l’ai connu et qui l’ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu’il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d’avoir le bénéfice d’une telle mort. Chaque matin, quand j’allais, grâce à la complicité d’un gardien ensorcelé, par sa beauté, sa jeunesse et son agonie d’Apollon, de ma cellule à la sienne pour lui porter quelques cigarettes, levé tôt il fredonnait et me saluait ainsi, en souriant: Originaire du Puy de Dôme il avait un peu l’accent d’Auvergne. Les jurés, offensés par tant de grâce, stupides mais pourtant prestigieux dans leur rôle de Parques le condamnèrent à 20 ans de travaux forcés pour cambriolage de villas sur la côte, et le lendemain, parce qu’il avait tué son amant Escudero pour lui voler moins de mille francs, cette même Cour d’assises condamnait mon ami Maurice Pilorge à avoir la tête tranchée. Il fut exécuté le 17 mars 1939 à Saint-Brieux.
Jean Genet: Le Condamné à Mort
Extrait choisi:
Les assassins du mur s’enveloppent d’aurore
Dans ma cellule ouverte au chant des hauts sapins,
Qui la berce, accrochée à des cordages fins
Noués par des marins que le clair matin dore.
Qui grava dans le plâtre une Rose des Vents?
Qui songe à ma maison, du fond de sa Hongrie?
Quel enfant s’est roulé sur ma paille pourrie
A l’instant du réveil d’amis se souvenant?
Divague ma Folie, enfante pour ma joie
Un consolant enfer peuplé de beaux soldats,
Nus jusqu’à la ceinture, et des frocs résédas
Tire d’étranges fleurs dont l’odeur me foudroie.
Arrache on ne sait d’où les gestes les plus fous.
Dérobe des enfants, invente des tortures,
Mutile la beauté, travaille les figures,
Et donne la Guyane aux gars, pour rendez-vous.
O mon vieux Maroni, ô Cayenne la douce!
Je vois les corps penchés de quinze à vingt fagots
Autour du mino blond qui fume les mégots
Crachés par les gardiens dans les fleurs et la mousse.
Un clop mouillé suffit à nous désoler tous.
Dressé seul au dessus des rigides fougères
Le plus jeune est posé sur ses hanches légères
Immobile, attendant d’être sacré l’époux.
Et les vieux assassins se pressant pour le rite
Accroupis dan le soir tirent d’un bâton sec
Un peu de feu que vole, actif, le petit mec
Plus élégant et pur qu’une émouvante bite.
Le bandit le plus dur, dans ses muscles polis
Se courbe de respect devant ce gamin frêle.
Monte la lune au ciel. S’apaise une querelle.
Bougent du drapeau noir les mystérieux plis.
T’enveloppent si fin, tes gestes de dentelle!
Une épaule appuyée au palmier rougissant
Tu fumes. La fumée en ta gorge descend
Tandis que les bagnards, en danse solennelle,
Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,
Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,
Une goutte, pas deux, de la ronde fumée
Que leur coule ta langue. O frangin triomphant,
Divinité terrible, invisible et méchante,
Tu restes impassible, aigu, de clair métal,
Attentif à toi seul, distributeur fatal
Enlevé sur le fil de ton hamac qui chante.
Ton âme délicate est par de là les monts
Accompagnant encor la fuite ensorcelée
D’un évadé du bagne, au fond d’une vallée
Mort, sans penser à toi, d’une balle aux poumons.
Élève-toi dans l’air de la lune ô ma gosse.
Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd
Qui roûle de ta gorge à tes dents, mon Amour,
Pour féconder enfin nos adorables noces.
Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt
D’enculer la plus tendre et douce des fripouilles.
En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,
Mon vit de marbre noir t’enfile jusqu’au cœur.
Oh vise-le dressé dans son couchant qui brûle
Et va me consumer! J’en ai pour peu de temps,
Si vous l’osez, venez, sortez de vos étangs,
Vos marais, votre boue où vous faites des bulles
Âmes de mes tués! Tuez-moi! Brûlez-moi!
Michel-Ange exténué, j’ai taillé dans la vie
Mais la beauté Seigneur, toujours je l’ai servie,
Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d’émoi.
Les coqs du poulailler, l’alouette gauloise,
Les boîtes du laitier, une cloche dans l’air,
Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,
C’est le luisant joyeux sur la prison d’ardoise.
Messieurs je n’ai pas peur! Si ma tête roulait
Dans le son du panier avec ta tête blanche,
La mienne par bonheur sur ta gracile hanche
Ou pour plus de beauté, sur ton cou mon poulet….
Attention! Roi tragique à la bouche entr’ouverte
J’accède à tes jardins de sable, désolés,
Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,
D’un voile de lin bleu ta tête recouverte.
Par mon délire idiot je vois ton double pur!
Amour! Chanson! Ma reine! Est-ce ton spectre mâle
Entrevu lors des jeux dans ta prunelle pâle
Qui m’examine ainsi sur le plâtre du mur?
Ne sois pas rigoureux, laisse chanter matine
A ton cœur bohémien; m’accorde un seul baiser…
Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser
Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine!
Tu n’as rien de plus gai.
On a déjà le moral dans les chaussettes…
celles d’en dessous le pantalon-pyjama, tu sais…..
J’aimeAimé par 1 personne
Cette poésie là, me transporte!!! Elle est de circonstance!!! justement je me prépare à publier un autre texte de cet immense artiste! à ce jujet, je te propose l’écoute de cette émission, pour éviter de tout écouter, et juste à propos de Jean Genet, va directement à 25’33 » de cette émission: https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/sous-le-soleil-14-boris-cyrulnik-la-nuit-jecrirai-des-soleils
J’aimeJ’aime
C’est effectivement un velours d’écouter ce Boris, et le vie de Jean Genet,
avec son manque d’affection qui le réfugie dans les livres.
C’est triste la peur des autres, parce qu’il a été un enfant rejeté, au départ.
Merci pour ce moment de philosophie, Henri,
à commencer par le titre « La nuit j’écrirai des soleils ».
A la 25’33, ça commence fort, au passage.
J’aimeAimé par 1 personne
Cyrulnik, c’est plutôt psychiatrie et psychologie que philosophie, l’ami!
Si tu aimes la radio, Je te propose l’écoute de 4 émissions à propos du Féminin, toi qui en est friand, cher frangin! Voilà ici le premier épisode, de quoi également voyager dans le temps et qui pourra intéresser également Madame qui aime lire de ce que j’ai compris…. car ces émissions sont aussi l’objet de ressources bibliographies historiques intéressantes:
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire
Bonne écoute
J’aimeJ’aime
Oh, excuse-moi l’ami, de m’être trompé sur l’étiquette de ce Monsieur.
Quel tatillon, tu fais.On dirait un vieux, Je te pensais plus large d’esprit (humour,mais, si tu as l’esprit philosophe , tu avais compris)
Et je n’ai pas fait de grandes études, j’ai été mis dès l’âge de 17 ans dans le grand bain du manuel.
Donc, pas eu le temps de plonger mon nez dans la grande lecture.
Moi, quand j’ouvrais un livre, c’était plutôt du SAS, pour me détendre, le temps des loisirs. (humour, encore, mais réalité).
Trêve de plaisanterie, je vais ouvrir ton lien.
A plus tard, mon Henri.
J’aimeJ’aime
J’avais très bien compris, mais cela peut être utile de préciser en cas de malentendu et au cas où tu t’intéresserais au bonhomme et et à son travail…. Avec les liens que je t’ai envoyé tu en as pour 4 bonnes heures, 4 x 58 minutes si je me souviens bien…. Tu as été scolarisé bien plus que moi puisque j’ai été exclu du système éducatif ordinaire bien plus jeune! Très jeune même, je te l’ai déjà dit je crois… j’ai été exclu du système scolaire (« on ne peut, ni ne pourra rien faire de votre enfant » sont les propos tenus par des responsables pédagogiques – le directeur lui-même -à mes parents en ma présence). Comme beaucoup de jeunes j’ai donc commencé un parcours d’ouvrier sans bagages, parcours d’esclave est un mot plus correct, dans l’industrie de la construction navale qui consommait alors l’énergie de la jeunesse de l’époque.
La suite s’est déroulée dans le cadre d’un processus des plus classique d’intégration sociale. Mais je n’avais pas attendu l’école pour me permettre de découvrir la poésie, la littérature, l’écriture et la lecture…J’étais plutôt Frédéric Dard de de côté là et très BD, mais ce genre là, était très marginal et très dénigré à cette époque, réservé aux adultes même !!!! Que l’on trouve à présent en grandes surfaces, Ha Ha Ha!
J’aimeJ’aime