Chez Marianne, Ophélie

En voyageant dans la blogosphère, voilà un exemple de très beau texte que l’on peut découvrir. Hommage a son auteure et à sa compagne qui a remis ce texte en ligne et à jour (lien au bas du texte et ici…). Un texte inspiré par un archétype très présent ici sur ce blog en trame et en toile de fond par tout ce qui est dédié à l’Amour et à la Vie,

Lilith

Lilith est née des ténèbres dont elle tire son nom (Leïla ou Lavlah), et c’est la raison pour laquelle elle est noire. Elle précède Adam au Jardin d’Eden où elle est le serpent qui tentera Ève la claire, enroulée autour du tronc de l’arbre de la Connaissance. Elle est celle qui sait, car elle a mangé le fruit, et cela ne l’a point tuée. Elle sait que le désir est bon. Elle sait qu’elle est capable de prononcer le « nom indicible » de Dieu, et n’y voit aucun sacrilège. Elle sait qu’elle est démon sexuel et femme fatale, stérile, là où Ève est docile. Elle a pour parentes d’innombrables Vierges Noires: Isis, Kali, Sarah la noire, Marie l’Egyptienne, toutes déesses de la vie, de la mort, de la fécondité et des forces telluriques, bien antérieures au christianisme.

Vêtue de noir, assise sur un globe de même couleur, Lilith est la Déesse-mère qui préside aux plaisirs charnels. Bien que le noir effraie, ses qualités de déesse de l’amour et de la mort en font une divinité très conjurée dans la magie sexuelle. Avec elle, nous pénétrons dans le monde obscur, mais également dans l’espace des sciences secrètes, car le noir est la couleur du Grand Œuvre alchimique.

Elle apparaît dans le Zohar. L’Ancien Testament n’en dit pas un mot. Elle est la femelle qui « enfante l’esprit d’Adam » encore inanimé, et qui s’unit à lui quand il s’éveille. Elle est donc mère et future épouse, à l’image d’une femme supérieure incluse dans l’Adam originellement androgyne. Donc, avant Adam et Ève, il y a Adam et Lilith, égaux en droit selon leur Créateur, unis par le dos, selon la tradition talmudique. Pour les séparer, « Dieu fendit Adam en deux, moitié mâle, moitié femelle, et prépara la femelle, telle qu’on doit la parer pour l’introduire sous le dais nuptial. » Mais d’emblée, c’est le conflit. Lilith aime les plaisirs du sexe et ne veut pas de l’ascendant d’Adam. Elle refuse de voir son corps déformé par les grossesses et elle pratique la contraception, voire l’avortement, ce qui va à l’encontre du Commandement « Croissez et multipliez-vous ». Adam la soupçonne donc de forniquer inlassablement avec les incubes (démons mâles), ce qui contrevient au Commandement « Tu n’auras d’autres époux que ton époux ». Enfin, Adam est un adepte de la position du missionnaire, ce que rejette évidemment Lilith. On le voit, la belle conteste les revendications de son époux à devenir le chef de famille, arguant de l’équivalence de ses droits. Lui ne veut rien entendre, affirme qu’il est le seul maître à bord de cette chétive humanité. Elle se rend compte que l’entêtement de sa moitié est sans espoir. Elle invoque le nom de l’ineffable et, miracle, elle reçoit mystérieusement des ailes qui lui permettent de s’envoler hors du Jardin d’Eden. Le cœur brisé, Adam implore le Tout-Puissant. Il veut qu’on lui rende sa moitié. Alors le Créateur, ému de sa détresse, envoie trois anges à la recherche de Lilith: Snwy, Snsnwy et Snglf, afin de la persuader de revenir auprès de son mari. Malgré la menace du Seigneur de faire mourir chaque jour, cent des enfants qu’elle mettra au monde, elle refuse.

Désespérée, Lilith pense mettre un terme à son malheur en se jetant dans la Mer Rouge, mais les trois anges adoucissent leur « angélique menace » en lui octroyant un pouvoir de vie sur ses enfants nouveau-nés, ceci pendant huit jours après leur naissance, si ce sont des garçons, et vingt jours, si ce sont des filles. En échange, Lilith doit accepter de perdre ce pouvoir à chaque fois qu’elle verra l’image des anges sur une amulette. Elle ne veut donc rien entendre et préfère se rallier à Satan, maître des anges déchus, qui la rencontre en train de se lamenter. D’accord sur leur égalité, ils deviennent époux et s’installent dans la vallée de Jehannum (la Gehenne). Chassée de l’Humanité, Lilith recherche quand même des humains, mais ne trouve que des animaux et des démons. Elle se jette dans la diablerie et fornique non seulement avec Satan, mais avec des démons et démones succubes. Yawhé, convaincu de l’irrémédiabilité de ses turpitudes, la rejette définitivement de la surface de la Terre, et la projette dans l’abîme, tout au fond des océans où elle enfante une multitude de démons aquatiques et infra-terrestres, devenant ainsi la Femme des trois mondes. Seul le monde céleste lui est inaccessible.

 Sans être une Succube, Lilith surpasse rapidement les servantes attitrées de Satan et devient sa préférée. Mais, grande maîtresse des servantes, rageant de n’avoir aucune autorité sur les démons mâles placés exclusivement sous l’autorité de son époux, elle se venge en le trompant. En retour, il la trompe avec Ève. C’est pourquoi elle devient le serpent qui provoque la chute de la blonde, et incite Caïn à tuer Abel. Parce que ses enfants s’entretuent, Adam refuse de coucher avec Ève, et se masturbe. Cela permet à Lilith d’enfanter des nuées de démons avec son sperme tombé à terre, et cela pendant cent trente ans. Lilith n’a qu’un désir: se venger et se venger encore, en particulier en venant, sur terre, troubler la vie des Hommes, en particulier des jeunes encore peu expérimentés. Sur terre, on fait des prières pour éviter ce fléau. Mais si, de jour, ces prières sont efficaces, la nuit elles ne le sont pas. Propulsée par les forces du mal, Lilith sort des Abîmes et vient débaucher les fils et les époux esseulés aux abords du crépuscule, et cela pour toujours. Elle devient la reine de Saba, l’une des deux prostituées qui se disputent un enfant devant Salomon et, pour le reste des temps, parce qu’elle est maîtresse de son désir, la reine des forces du mal, la reine de la nuit, le démon femelle, la grande prostituée de Babylone, la future sorcière qui brûlera sur les bûchers du désir collectif refoulé, la « vamp fatale » des romans et des films noirs, la Lolita de Nabokov…

 En tant que femme supplantée ou abandonnée au bénéfice d’une autre femme, Lilith représente les haines familiales, la dissension des couples et l’inimitié des enfants. Dévorée elle-même par la jalousie, elle tue les nouveau-nés allant jusqu’à les dévorer, s’enivrant de leur sang. Si la garde des mères est trop vigilante, elle déterre leurs cadavres, les vide de leurs entrailles. Punie par la stérilité, elle se déguise en serpent et vient pervertir Ève en la possédant charnellement. De cette union, naît le premier être humain ombiliqué (doté d’un nombril): Caïn, qui commet le premier meurtre sur Terre, en tuant Abel, son propre frère. Ainsi, Lilith, est quadruplement vengée: à travers l’homme trahi (Adam), à travers la mère bafouée et trompée, à travers l’enfant perverti devenu assassin (Caïn) et quatrièmement par l’enfant tué. Bien au-delà de la vengeance, Lilith peut jouir du mal pour le mal en tant que pratiquante du satanisme.

 Le refus originel d’être « parée pour les noces » et son appropriation de la connaissance scellent pour Lilith la fin de l’innocence édenique, et la femme-serpent est prête pour engendrer de multiples sirènes et mélusines à la beauté souveraine, mais qui toutes signifient la perte de l’homme, éperdu d’amour pour elles. N’acceptant pas son rôle de soumise, la première chérie d’Adam se pose clairement en rebelle, face à la volonté de Dieu. Contrairement à Ève qui se conforme à la loi conjugale, accepte son rôle d’épouse et de mère, mais également son rôle d’inférieure, Lilith n’est pas conçue à partir d’une côte d’Adam, et c’est là toute la différence! Avec son vagin sur le front, elle est le contraire de la licorne et gouverne tout ce qui est impur. Elle laisse à Ève le rôle d’épouse soumise aux lois du mariage et de la maternité, et à la Vierge des Chrétiens la place du féminin « pur et sans tâche ». Ses nombreux enfants étant sacrifiés, elle refuse toute descendance. Comme la Lamia grecque, elle se met à capturer les enfants des autres pour les dévorer, devenant ainsi le symbole de la jalousie des femmes stériles. Sa capacité sacrificielle de femme qui dévore et qui tue, fait de Lilith, l’une des premières figures de la mère impitoyable qui ne recule pas devant le meurtre de sa propre progéniture (comme Médée), ni devant celui de ses amants, n’hésitant jamais à marier l’amour et la mort.

 Lilith, c’est la « lune noire » des astrologues, c’est la capacité de chaque femme de refuser la sexualité bridée par la loi sociale ou divine. Grande initiatrice, elle gouverne le désir le plus profond de la femme ivre de son corps, et renvoie à l’ineffable. Sans aucun doute, c’est la première féministe, et ses excès sont en rapport avec la durée si longue de son asservissement.

 En fait, Lilith serait une démone d’origine sumérienne, vieille de 4000 ans. L’étymologie de son nom renvoie tout à la fois au vent (lil, en sumérien), à la lascivité (lulti, en sumérien), à la nuit (laïla, en hébreu), et à la gueule (lou’a, en hébreu). On la retrouve dans plusieurs religions, sous l’aspect d’une démone aux attributs masculins et dévorateurs. En fait, c’est une déesse-mère, une déesse-serpent et une déesse ailée, qui allie les caractères chtonien, aérien et aquatique. Déjà présente dans l’épopée de Gilgamesh (Gilgamesh et le saule), sous le nom de Lillaka, on la retrouve comme « déesse-aux-serpents » dans la civilisation minoenne, mais aussi en Egypte sous les traits d’Isis, la déesse ailée, épouse d’Osiris. Elle aurait été reprise par la tradition juive aux temps de la captivité de Babylone, où elle représente l’ancien matriarcat, finalement supplanté par l’avènement du patriarcat. Dans la démonologie occidentale, elle n’est autre que la Reine des Striges, ces démones vampires ailées, munies de serres de rapaces, qui attaquent les hommes et les détruisent après leur avoir procuré des plaisirs érotiques et qui tuent les enfants dans le but d’utiliser leur chair et leur sang pour la confection de philtres et de maléfices. C’est pourquoi, au Moyen-âge, il était encore de pratique courante de protéger les femmes en couche et les nouveaux-nés par des amulettes fixées aux murs, au dessus des lits et de réveiller les enfants qui souriaient dans leur sommeil, craignant qu’ils fussent séduits par Lilith. On l’accuse également de pousser les femmes à se donner des orgasmes solitaires devant les hommes afin qu’ils se masturbent, et qu’ainsi elles puissent se féconder elle-mêmes avec leur sperme répandu à terre. Pourtant, malgré sa sexualité illimitée et sa fécondité prolifique, Lilith est paradoxalement symbole de frigidité et de stérilité. Pour la Bible, il n’y a qu’une femme: Ève qui, plus sage (pas complètement!) aurait remplacé Lilith. Au IVème siècle, Saint Augustin la ressuscite dans un texte pour en faire une illusion de l’esprit, mais ce n’est qu’à partir de Renaissance qu’elle apparaît vraiment dans la littérature chrétienne, avec son caractère androgyne qui la place au centre de tous les mythes qui traitent du désir et du sexe.

Ophélie Conan

Billet du 11 avril 2012, paru dans « Conan la barbare I ».

https://liligrololos.blogspot.com/2022/01/lilith.html

Merci Marianne & Amour!

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11 commentaires pour Chez Marianne, Ophélie

  1. Des graphismes ravissants, des éjaculations aux œuvres d’art extraordinaires

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  2. Marianne Lebey dit :

    Merci Henri. Les illustrations sont belles! Et comme il se doit, la mort est au rendez-vous.

    Aimé par 1 personne

  3. Bonsoir, je ne me présente pas, je ne savais pas que tu connaissais ma meuf.

    Aimé par 1 personne

  4. Ping : Lilith dans les étoiles – Villanelle Astankova

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